Quand Madame Artemisia se prenant pour un pirate va chercher des noises à la petite sirène


Notre histoire débute par le bouleversement de la vie d'un pull, après une baignade dans les grandes eaux d'une machine à laver. Jusque là, rien d'anormal : ce genre d'incident peut arriver tous les jours. Mais, écoutons la suite...
Ledit pull - que nous prénommerons Moutarde en raison de sa carnation - était un beau et fringuant spécimen de son genre : superbe pull de marin en laine, d'un jaune éclatant. Un tel statut dans la hiérarchie du textile présupposait que Moutarde ne doive être déposé sous aucun prétexte dans la panière à linge sale dite normale - c'est-à-dire au milieu d'une populace de vêtements rugueux et bien trop peu délicats pour le côtoyer - sous peine de subir un fort rétrécissement de carrure.

S'il n'y avait eu cette erreur, rien de tout ce que nous allons raconter ne serait arrivé.

Lorsque Moutarde fut jeté promptement et sans vergogne dans les profondeurs abyssales de la panière à linge sale, ce fut le début d'une période difficile pour notre ami. Des jours durant, il s'efforça de se tenir à l'écart des guenilles alentours, sur lesquelles on disait beaucoup de mal de l'autre côté du ghetto. N'ayant cessé de crier, d'appeler à l'aide pour qu'on le tire de ce mauvais pas, il commença à sérieusement envisager le terrible destin qui risquait d'être sien. Alors qu'il tentait de se remémorer ses meilleurs souvenirs d'enfance, un contact derrière lui fit frémir son maillage.
Lentement, Moutarde se tourna pour se retrouver nez à nez avec un jeanQuel étrange animal... Moutarde n'en avait jamais vu de semblable ! Une peau si dure, des coutures si grossières, tout à fait différent des dentelles vivotant au quotidien dans sa panière estampillée "linge délicat". Curieusement happé par l'aura de cet être étrange et nouveau, notre ami s'approcha à pas feutrés.

Lui apparut alors toute la singularité de son caractère. Ce jean n'était pas particulièrement beau, mais un petit je-ne-sais-quoi lui conférait un charme nouveau et délicieux. Dans l'optique de se familiariser avec la chose, Moutarde déploya toute la laine soyeuse dont il était capable. Un frôlement de fil attira l'attention de l'inconnu : le contact fut établi.
A cet instant précis se produisit un phénomène très théorisé mais fort peu pratiqué, que l'on nomme communément coup de foudre. Aussi forte fut l'émotion qu'un tissu puisse éprouver.

Mais vous devez bien vous en douter : ce qui devait arriver arriva. 

Nos deux protagonistes finirent par être arrachés de leur sas, et fourrés dans le ventre de la machine. Programme : 60 degrés. Catastrophe. Pendant que la panique envahissait Moutarde en lui tordant les tripes, l'eau montait progressivement à l'intérieur du tambour. Une eau bien trop chaude et mousseuse pour notre ami si délicat...
Le jean, habitué à la rudesse de cette vie, tenta tant bien que mal d'apaiser les nerfs soyeux de son compagnon. L'enlaçant de toutes ses jambes pour le protéger, car dans un coin de son esprit séjournait la pleine lucidité quant aux effets dévastateurs d'un essorage sur la laine.
De plus en plus rapidement, l'intérieur se mit à tanguer, jusqu'à ce que la vitesse ait atteint de telles proportions que l'on ne put alors plus distinguer ni formes ni couleurs. Le monde de Moutarde fut bouleversé, ses sens démantelés. Lui qui n'avait connu que les douces baignades des eaux fraîches dans le cadre du programme délicat..
Lorsque le calvaire prit fin, son tressage était rabougri comme de la corde. Toute souplesse avait quitté son corps, qui perdit trois tailles.


A ce stade de l'histoire, l'un des deux protagonistes est au plus bas, en plus d'être complètement détrempé. C'est ici qu'intervient Madame Artemisia. 
Car effectivement, la machine à laver se trouvait appartenir à une demoiselle fort spéciale, qui occupait ses journées à distinguer l'avenir - de manière plus qu'approximative - dans les perles de son collier rouge. Depuis le fin fond d'un abri anti-lutins-roses-à-paillettes (une espèce particulièrement redoutable au mois d'automne, - allez savoir pourquoi.. -) situé sur la Lune.

Lorsque la demoiselle se rendit compte du sort qui avait frappé son pull préféré, elle pesta, souffla, renifla, puis partit dehors évacuer la fumée violette qui commençait à lui sortir par les oreilles. Un pull si beau, qu'elle possédait depuis si longtemps !
Un temps de rééducation fut nécessaire pour remettre Moutarde sur pieds. Artemisia passa le pull à l'étireuse de guimauve chipée à Willy Wonka quelques années auparavant. Mais celui-ci restait trop court. Problème. 
Ce n'est que lorsque son regard se posa sur la jambe d'un jean dépassant de la machine qu'une idée germa dans son esprit farfelu. Un pull trop court ? Un pantalon taille haute ? L'association allait de soi. C'est ainsi que nos deux tourtereaux furent réunis, dans une évidente complémentarité.

La période qui s'ensuit n'étant pas des plus palpitantes, nous ferons une ellipse narrative afin d'épargner quel-qu’ennui au lecteur. Ces quelques temps chez Madame Artemisia s'écoulèrent pour nos trois personnages au coin du feu, à boire du thé, à respirer des bougies parfumées en se racontant des histoires.
Le problème, parce qu'il y en a toujours un, se produisit alors que l'automne était déjà bien entamé. A force de respirer les vapeurs de la tisane mystérieusement enchantée, l'organisme d'Artemisia commença à développer une schizophrénie chronique. Des vertiges s'emparèrent d'elle, suivis de terribles visions, puis par un sérieux dédoublement de personnalité. La demoiselle se croyait tantôt princesse, magicienne, scarabée, puis pirate (avec une plus forte prédilection pour ce dernier rôle). En cette qualité, elle se couvrait la tête d'un foulard, qu'elle nouait à la base de la nuque comme on façonne un ravioli.

Quand les vivres vinrent à manquer dans l'abri tarabiscoté, il fallut bien mettre le nez dehors. D'un commun accord, le jean et Moutarde engoncèrent Artemisia pour la forcer à sortir voir le plein air, et chercher quelque chose de comestible. Avec du chocolat si possible.
La tête tournante de la demoiselle se mit à turbiner à la recherche d'une idée. Une fois la fumée rose de la réflexion évaporée de son esprit, Madame Artemisia, avec l'aide de ses deux amis, entama la construction d'un radeau. Elle avait décidé qu'on irait à la pêche. C'est que sur sa Lune, les mers d'eau sucrée sont autant d'abris pour les poissons en chocolat fourrés avec diverses mélanges magiques (principalement de sirop d’hippocampe et rhubarbe des mers du sud).

Ce furent donc un pull, un jean, un collier et un foulard qui prirent place avec la demoiselle dérangée sur la petite embarcation bringuebalante. Armés de cannes à pêches télescopiques dernière génération, la récolte fut excellente : oursins aux cœurs coulants, anchois touts caramels cristallisés dans la bergamote, coquillages en croûte de pain d'épice... 
Les fonds marins subirent une forte hausse du taux de mortalité ce jour là. L'information fit le tour de l'océan, pour remonter jusqu'aux oreilles de la maîtresse des lieux. Il s'agit d'une créature communément appelée "petite sirène" par les humains, mais dont la réalité est bien éloignée de l'idée préconçue servie par ces derniers à leurs enfants. 
Celle-ci n'est ni gentille ni jolie, et ne voue aucune espèce d'amour à humain niais qui l'aurait abandonnée après consommation -rhhm-rhmm. Il serait plus juste de la décrire comme une hideuse couleuvre, jaune et visqueuse, avec le cheveu rare, et croulant sous les colliers de coquillages censés protéger sont corps décharné.

La souveraine ayant eu vent du massacre perpétré contre sa population, elle hissa sa carrure grumeleuse à la surface, pour identifier la source du danger. Maligne, elle n'oublia pas d'arborer un grand drapeau blanc afin de signifier son intention de négocier la paix - intention évidemment illusoire et purement stratégique... -
C'est alors que notre bande d'amis aperçut, depuis son fier radeau, une sorte de poiscaille cancéreux pointer son regard jaune à travers les vagues. Voyant la chose s'approcher à vive allure, ils rembobinèrent leur canne à pêche, intrigués. Celle-ci s'avérait être équipée d'une guenille blanc sale.
Problème que la sirène n'avait pas anticipé : aucun de nos protagonistes n'avait connaissance de la signification du blanc. Prise d'une crise de folie schizophrénique et croyant à l'attaque d'un navire pirate ennemi, Madame Artemisia tira une dague de sa ceinture. L'ayant lancée avec force, c'est presque par hasard que la lame se ficha droit dans la gorge filandreuse de la petite sirène.

Le cadavre encore chaud de la créature fut porté par les vagues jusqu'au radeau. Ne jugeant pas la chose comestible, Artemisia la dépouilla de sa parure de coquillages pour la passer autour de son cou.
Triste fin pour une reine, et pour une histoire farfelue qui commençait à s'éterniser.


























jean : Zara
pull : Cyrillus (effectivement rétréci au lavage)
chaussures : Geox
collant : Lebourget
foulard : Cartier (année 2000)
bijoux bric à broc
montre YLS
sac : vieux vieux vieux chiné à Chinatown


Libre à vous de continuer à imaginer les aventures de nos amis,

La bisette,

Artemisia


Tourne le tambour de la machine à laver qui fait trembler le sol ... Mais qu'est-ce qu'elle a fumé ?!
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